Le général Mordacq, l'homme de confiance de Clemenceau
Samuel Tomei
Docteur en histoire, rédacteur des débats à l’Assemblée nationale
Tempérament d’acier, esprit vif, Mordacq est une pièce maîtresse du dispositif de Clemenceau chef de guerre : il ne cesse de l’alimenter de renseignements rigoureux, de dénouer des situations intriquées, le suit partout.
Quand Clemenceau est convaincu que le président Poincaré n’a plus d’autre choix que de l’appeler pour former un gouvernement, début novembre 1917, il va voir le général Mordacq dans son QG de Romigny, certes pour faire le point sur la situation militaire mais surtout pour lui demander de le seconder dans la direction de la guerre. Les deux hommes s’estiment et savent la valeur l’un de l’autre. Mordacq était le chef d’état-major du général Picquart en 1906, juste avant que Clemenceau ne fasse de ce dernier, héros de l’affaire Dreyfus, son ministre de la guerre (1906-1909).
Saint-cyrien, après plusieurs campagnes dans le Sud-Algérien puis en Asie, Mordacq regagne Paris et, en 1898, intègre l’École supérieure de guerre où il suit les cours de tactique générale du commandant Foch. Combattant courageux, excellent tireur, champion d’escrime, le jeune capitaine est aussi un auteur prolixe et qui tranche, n’hésitant pas à remettre en cause la bureaucratie déresponsabilisant de l’institution militaire. Il veut que l’armée ait des chefs à même « de la faire vibrer », écrit-il dans L’Armée nouvelle (1905), ouvrage remarqué par Jaurès qui en reprendra le titre à son compte à défaut des idées.
Devenu en 1909 professeur de stratégie à l’École supérieure de guerre, le commandant Mordacq dénonce le retard pris par la France en la matière et, malgré le soutien de Foch et de Joffre, doit cesser son enseignement. Il n’en continue pas moins d’écrire, insiste sur l’importance de la psychologie, la nécessité pour le commandement d’être instruit et il met en garde contre l’illusion que la prochaine guerre sera courte ne serait-ce que dans la mesure où elle ne peut être « que la lutte à outrance » (1911).
Dès 1914 Mordacq combat au front et sa bravoure – il est blessé à trois reprises – lui vaut citations et félicitations de ses supérieurs ; il devient général de brigade en janvier 1916.
C’est la mort dans l’âme, écrira-t-il, qu’il se résout à devenir le chef du cabinet militaire de Clemenceau. Les deux hommes sont d’accord sur l’essentiel : à ce stade critique d’une guerre d’autant plus difficile à mener qu’il s’agit d’une guerre d’alliés, s’impose « une politique de premier ordre et des plus énergiques ». La confiance est telle entre eux qu’en arrivant dans son bureau de la rue Saint-Dominique, le Tigre, voyant de grandes cartes, s’exclame : « Enlevez-moi ça, ma carte, c’est Mordacq ! »
Tempérament d’acier, esprit vif, il est une pièce maîtresse du dispositif de Clemenceau chef de guerre : il ne cesse de l’alimenter de renseignements rigoureux, de dénouer des situations intriquées, le suit partout. Il n’est pas excessif de dire de Mordacq qu’il fut essentiel pour l’emporter contre l’Allemagne. Le général Guillaumat ne s’y trompa pas qui écrivit à son épouse, le 27 novembre 1918, que la victoire a été l’œuvre de trois hommes : « Clemenceau, Mordacq et un autre (sic) ».
Le général Mordacq sera jusqu’à la mort du Tigre, en 1929, du cercle des intimes, il défendra inlassablement une politique de fermeté vis-à-vis de l’Allemagne et prendra la figure de Cassandre dans ses ouvrages.
Quand le maréchal Pétain est sur le point, en 1940, de promulguer des lois raciales, Mordacq vient lui dire : « Maréchal, vous allez déshonorer notre uniforme », à quoi le vieillard répond : « Je m’en fous. »
En avril 1943, de la chute de Mordacq, à soixante-quinze ans, du pont des Arts, on conclura officiellement au suicide. Officiellement…