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Clemenceau, chef de guerre

Samuël Tomei

Docteur en histoire, rédacteur des débats à l’Assemblée nationale

 

Si, lorsque Clemenceau accède au pouvoir, le politique a déjà recouvré la direction de la guerre, cette reprise en main franchit avec lui une étape décisive.

Sous la IIIe République, le chef de l’État dispose de la force armée et, aux termes du décret du 28 octobre 1913, « le gouvernement, qui assume la charge des intérêts vitaux du pays, a seule qualité pour fixer le but politique de la guerre ». Le commandement militaire est donc clairement subordonné au pouvoir politique dans la direction de la guerre. Or le sénateur Georges Clemenceau, le 1er avril 1915, se plaint devant ses collègues de la commission de l’armée que « tous les ministres ont abdiqué entre les mains du ministre de la guerre, et lui-même a abdiqué entre les mains d’incapables, qui n’ont pas su préparer la défense et qui continuent ».

Ce ministre de la guerre, c’est Alexandre Millerand qui place alors toute sa confiance dans le généralissime Joffre, d’autant que, de septembre à décembre 1914, les pouvoirs publics se sont réfugiés à Bordeaux. Le GQG dirige donc de fait la guerre. Ce n’est que progressivement, et avec la prise de conscience que le conflit sera long, que les politiques vont peu à peu recouvrer leurs prérogatives. Et Clemenceau ne cessera – souvent de façon tranchante – d’enjoindre aux présidents du conseil successifs, aux ministres, de remplir enfin leur devoir.

Avant même d’être appelé à la présidence du conseil, Clemenceau joue un rôle non négligeable en tant que président des deux commissions sénatoriales les plus importantes : celle des affaires étrangères et surtout celle de l’armée. Il exerce ainsi dans toute sa plénitude le contrôle du gouvernement en en convoquant très régulièrement les membres et en les soumettant à de véritables interrogatoires sur l’état des effectifs, des armements, tout en veillant à ce que la commission n’outrepasse jamais ses prérogatives.

Si, lorsque Clemenceau accède au pouvoir, le politique a déjà reconquis la direction des opérations, cette reprise en main franchit avec lui une étape décisive. D’accord avec son chef de cabinet militaire, le général Mordacq, il considère que la stratégie doit être la résultante de la politique et la politique qu’il entend mener est celle d’une « guerre intégrale » qui suppose une paix de victoire et donc la neutralisation des menées pacifistes. Ayant pris pour lui le portefeuille de la guerre, le chef du gouvernement s’entoure de ministres de second plan qui lui sont dévoués. Il procédera à un profond renouvellement de la haute administration et du haut commandement.

Clemenceau s’appuie sur un important cabinet militaire et, pour le front parlementaire, sur un cabinet politique dirigé par Georges Mandel qui sait tout des intrigues de couloirs… C’est que jamais Clemenceau ne s’est dérobé au contrôle des députés : il n’a refusé aucun débat – il pouvait être renversé à tout moment – et s’est rendu régulièrement devant les commissions des deux chambres pour leur rendre compte en détail de son action. Le paradoxe a voulu qu’il ait reproché (avec excès) au président Poincaré son inaction, d’« imiter à la perfection le vivant », et qu’une fois au pouvoir il l’ait marginalisé plus qu’il n’était déjà…

Assurant donc seul la direction politique de la guerre, il confie la direction stratégique au général Foch. Clemenceau plus que ses prédécesseurs se rend aux armées, non seulement dans les tranchées pour stimuler le moral des troupes et évaluer leurs besoins, mais aussi aux QG des généraux pour s’assurer de la bonne exécution des décisions politiques, quitte à empiéter parfois sur les prérogatives des militaires (quoiqu’il s’en défendra toujours…). C’est Clemenceau qui sera à la manœuvre pour la difficile réalisation du commandement unique confié au général Foch, dont il fera un maréchal afin de conforter plus encore son autorité, la coordination des armées alliées étant un impératif pour l’emporter.

 

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