Clemenceau et la publicité
Lise Lentignac
Historienne de l’art, administratrice, Fondation le musée Clemenceau
Il y a cent ans, les hommes politiques prêtaient leur image aux publicités. Et Clemenceau n’y échappe pas. Une pratique bien établie à l’époque qui peut nous paraître surprenante aujourd’hui. Forme de caricature des hommes politiques ou moyen de promouvoir leur image médiatique ?
Le Tigre a toujours inspiré les publicistes. Sa première apparition dans une réclame, connue à ce jour, daterait aux alentours de 1880, pour le grand magasin La Porte Montmartre. Il apparait avec d’autres personnalités de la Commune, à un moment où la question de l’amnistie des communards fait débat. L’utilisation de l’actualité politique à des fins commerciales peut aujourd’hui nous faire sourire mais dès la seconde moitié du XIXe siècle, la publicité, favorisée par des mutations économiques, techniques et humaines acquiert une plus grande liberté de ton grâce à loi du 29 juillet 1881. Omniprésente dans l’espace public, elle s’affiche, se distribue, s’insère dans les journaux. Ainsi la réclame va avoir un rôle inattendu, celui de servir la jeune et fragile Troisième République. En s’appuyant sur les hommes politiques du moment, elle diffuse sur tout le territoire les symboles républicains.
Les publicistes de l’époque sont alors les caricaturistes qui, considérant cette activité comme une rémunération supplémentaire, recyclent leurs dessins satiriques. Clemenceau sera « mis à toutes les sauces » : pour l’Orangeade Lieutard (vers 1906) ou encore Vichy Quina (dans les années 1920), publicité dans laquelle Clemenceau boit un « un verre de l’amitié » avec ses adversaires. Avec la Colle-Bloc, Clemenceau tente de recoller le Bloc des gauches disloqué depuis 1904. « Premier flic de France », il est muni du chronomètre Girardin ou encore fait la promotion d’un lubrifiant parce que « Le seul moyen de bien conduire le char de l’Etat, c’est de prendre un graisseur Lefebvre ». Nous sommes au balbutiement du star-system, phénomène qui s’accéléra après la Première guerre mondiale, quand les politiques laisseront la place aux acteurs et sportifs.
Si Clemenceau inspire la publicité, celle-ci lui souffle une de ses plus savoureuses réponses. Interrogé par un journaliste sur sa nomination à la tête du gouvernement en 1906, il rétorque : « Mon ministère est constitué, comme le pneu bien connu, je bois l’obstacle », reprenant le slogan du Bibendum, le célèbre bonhomme pneumatique de la marque Michelin. Quel meilleur porte-parole « officiel » pour une marque que le Président du Conseil !
Enlisée dans une guerre sans fin, la France rappelle Clemenceau en novembre 1917 pour la mener à la Victoire. Pour tous, il est « énergie, santé, force », le slogan de la poudre de chocolat Newcao pour laquelle Clemenceau prend les traits de son alter-ego, le Tigre « déchaîné » à la tribune de l’Assemblée. Incarnant l’action, du haut de ses soixante-dix-neuf ans, Clemenceau fait même le Tour de France en Cyclotracteur. D’autres publicités, plus violentes, exacerbent le sentiment national comme la lessive le Coq Gaulois où l’on voit un Clemenceau tenant fermement un soldat allemand enchaîné et à genoux.
Après la Première guerre mondiale, la publicité en France va se professionnaliser, fortement influencée par les Etats Unis, avec l’ouverture d’agences, les progrès techniques et les débuts du marketing. Les hommes politiques ne faisant plus rêver font place aux vedettes de cinéma et aux sportifs. Le cas de Clemenceau reste pourtant exceptionnel. Quand il se retire de la politique en 1920, sa popularité est toujours intacte. Homme des media, il comprend l’importance de l’image pour asseoir son statut d’écrivain et ne refuse pas l’autopromotion pour se vendre. Ainsi, à l’occasion de la parution d’Au soir de la Pensée en 1927 puis posthume en 1930 de Grandeurs et misères d’une victoire, les éditions Plon éditent des cartes postales promotionnelles illustrées de portraits de Clemenceau.
Ce sont cinquante ans de « culture Pub » que nous pouvons étudier à travers la vie du Tigre. Même après sa mort, Clemenceau continue à faire vendre : « Parmi les témoins muets de sa vie on y retrouve le pot Grip-fix dont se servait couramment le Tigre », visible encore aujourd’hui sur sa table de travail dans sa chambre, rue Franklin. En 2013, le Parti Radical de Gauche (PRG) a encore utilisé l’image décalée du Père la Victoire pour toucher les jeunes, à l’occasion de municipales parisiennes. Clemenceau demeure, aujourd’hui encore, une icône de la Pub.
Affiche publicitaire Le Coq Gaulois, entre 1917 et 1918 (212 ko)
Affiche publicitaire Grip Fix, non daté (109 ko)
Affiche publicitaire du Parti Radical de Gauche, 2014 (379 ko)