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Clemenceau un Nantais ignoré

Jean Artarit

Historien, psychiatre

 

Georges Clemenceau, comme sa sœur Emma, un an plus tôt, naquit à Mouilleron-en-Pareds, le 28 septembre 1841. Mais ses parents, depuis déjà plus d’un an, habitaient Nantes, rue du Calvaire, où son père Benjamin exerçait la médecine. Leur mère avait choisi de venir accoucher chez son père en Vendée. Georges dira qu’il serait resté à Mouilleron jusqu’à « ses deux ans ou deux ans et demi[1] ». Il viendra ensuite à Nantes, où il grandira et vivra avec ses frères et sœurs, jusqu’à ses vingt ans. Il y accomplira toute sa scolarité, sera élève du lycée de la cinquième à la terminale, puis effectuera ses trois premières années d’études à l’Ecole de Médecine avant de partir pour Paris. C’est donc à Nantes que se passa son enfance et plus que son adolescence. Ce n’est pas rien.

Il devait écrire : « Je n’ai jamais aimé la ville Nantes »[2] et il semble que ce sentiment ait été partagé par son père. Ce dernier qui paraît avoir exercé la médecine avec un certain dilettantisme, fut un militant politique proche des socialistes[3]. Tout le plaçait dans une position marginale vis à vis du très conservateur corps médical de la ville. Cependant, lorsqu’il fut condamné à la déportation, en 1858, il se manifesta en sa faveur un certain courant de sympathie. Georges vécut tout cela et ce ne put que renforcer sa position de révolté. Au lycée il faisait partie de cette minorité d’élèves dont les familles étaient hostiles à l’église catholiques et il quitta l’Ecole de médecine dans un contexte de rupture totale. Disons qu’il en fut tout simplement exclu.

Pourtant à de nombreuses reprises il évoquera Nantes en faisant montre d’un attachement affectif fort. Ses souvenirs du quai de la Fosse « où les lourds navires ventrus déchargeaient mille choses étranges venues des îles », l’amènent à s’exclamer : « Nous eûmes là de beaux jours »[4]. Le quai de la Fosse c’était la porte des grands voyages pour les imaginaires juvéniles. Jules Verne, grand ancien du lycée, l’illustrera brillamment. Nantes était ouvert sur l’Amérique, c’est vers elle que Georges Clemenceau se dirigera en 1865.

Quand le Père la Victoire viendra, en mai 1922, inaugurer de monuments aux morts du lycée qui désormais portait son nom, il aura des paroles de gratitude à l’égard de « ces bons professeurs qui savaient tant de choses et nous en donnaient la meilleure partie[5]. » Jusqu’alors, il semblait n’avoir guère apprécié ses maîtres d’autrefois. C’est aussi à Nantes que s’étaient déroulées des scènes fondatrices. En février 1848, il se souvenait avec fierté avoir vu son père à la tête du grand défilé qui traversa la ville pour annoncer le retour de la République et c’est devant la prison de Nantes, qu’en 1858, un petit matin d’hiver, il fit à son père, condamné à la déportation dans le sud algérien, le serment de le venger. Clemenceau se voulait Vendéen, mais c’est dans la grande ville toute proche qu’il forgea sa personnalité indomptable et généreuse.

 

 

 

[1] Jean Martet, M. Clemenceau peint par lui-même, p. 187.

[2] Correspondance, p. 137.

[3] AD 85 4M396. Dans l’arrêté d’interdiction de séjour, de février 1852, Benjamin Clemenceau est qualifié « d’intermédiaire très actif entre les socialistes de Nantes et de la Vendée ».

[4] G. Clemenceau, « Monsieur Chandeleur », Au fil des jours, p. 96.

[5] Discours au lycée le 28 mai 1922.

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