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Les voyages de Clemenceau au front

Samuël Tomei

Docteur en histoire, rédacteur des débats à l’Assemblée nationale

 

 

Avant même ses nombreux déplacements en tant président du Conseil et ministre de la guerre en 1918, Clemenceau a plusieurs fois rendu visite aux armées, pour se rendre compte par lui-même du quotidien des Poilus.

La statue de Clemenceau, sur les Champs Élysées, le représente tel que les Poilus l’ont vu dans les tranchées, marchant d’un pas résolu, chaussé de guêtres, vêtu de son gros pardessus de laine brune, écharpe au vent, son chapeau cabossé enfoncé sur la tête. Avant même son accession au pouvoir, fin novembre 1917, Clemenceau s’est rendu pas moins de huit fois au front, en tant que membre puis président de la commission sénatoriale de l’armée.

Président du conseil et ministre de la guerre, il intensifie ses visites et passe près d’un tiers de son temps aux armées, au point qu’on l’appellera le « premier des Poilus ». Des Vosges à la mer du Nord, de la Somme à Verdun, il voyage en train spécial, souvent de nuit, puis en automobile sur des routes défoncées pour finir parfois par de longues marches.

Ce qui le distingue avant tout est son courage physique et son mépris du danger. Le général Guillaumat écrit ainsi à son épouse, le 7 janvier 1917 : « Clemenceau est rentré de son excursion ce soir à 16 h [six heures de marche aller et retour pour aller au fort de Douaumont], et c’est réellement inouï qu’un vieillard de 75 ans ait une pareille résistance et une pareille volonté. C’est une force de la nature. […] Après déjeuner, malgré la neige tombée et tombant, il s’est remis en route, cette fois pour trois heures à travers les trous d’obus et sous un bombardement qui l’a à deux reprises éclaboussé. Il est arrivé au fort de Douaumont à la nuit, a dîné et couché sur une planche ; il en est reparti à 6 h pour visiter les environs […]. » Clemenceau ne changera pas d’attitude une fois président du Conseil. À plusieurs reprises il sera tout proche des lignes ennemies.

Son but n’est pas de rivaliser de bravoure mais, en particulier, de se rendre compte du quotidien des Poilus. Devant la commission du Sénat, il s’inquiète de la variété de leur nourriture, dans son journal il lance des souscriptions afin que parviennent à telle ou telle ambulance du miel, des confitures, des paires de chaussons, des phonographes… Il achète lui-même un téléphone pour un général qui en a besoin. Il charge son chef de cabinet militaire de veiller à ce que les soldats ne manquent pas de tabac. Le 22 janvier 1918, de retour du front, il se plaint, en conseil des ministres, de l’insuffisance des tranchées et des abris, de l’incommodité et de l’étroitesse des cantonnements.

Cette présence sur le terrain a aussi un objectif politique, d’abord moral : Clemenceau entend galvaniser des troupes épuisées par plus de trois ans de guerre – or il faut tenir et aller à la victoire. En outre, il tient pour la suprématie du pouvoir civil sur le commandement militaire et, en allant aux QG, entend veiller à la bonne exécution des décisions quitte à parfois s’immiscer dans ce qui n’est pas de son ressort. Il s’agit également de s’assurer de la bonne coordination des armées alliées.

Ses voyages le rendent populaire et certaines anecdotes sont émouvantes : en juillet 1918, aux Monts de Champagne, des soldats, « figures blêmes de poussière », lui offrent « un bouquet de fleurs crayeuses, augustes de misère et flamboyantes de volonté ». Il demandera que ce bouquet l’accompagne dans la tombe.

 

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