Clemenceau et la censure

Sylvie Brodziak

Maîtresse de conférences HDR en littérature française et histoire des idées à l’université de Paris Seine-Cergy-Pontoise

 

Pendant toute sa carrière de journaliste, Clemenceau s’est battu pour la liberté de la presse. Malgré tout, une fois arrivé à la présidence du Conseil en 1917, il admet la nécessité de la censure pour bien conduire la guerre.

Dès les débuts de sa carrière politique, sous Napoléon III, Clemenceau fut victime des humeurs de Madame Anastasie, plus connue sous le nom de censure. Jeune journaliste, il a participé à des feuilles éphémères, toutes disparues sous les ciseaux de la censure impériale. En 1862 et 1863, les interdictions successives du Travail et du Matin font de lui un fervent militant pour l’entière liberté de la presse, et, une fois élu député, il se bat avec ardeur pour l’obtenir.

Ainsi, le 1er février 1881, à la Chambre, il s’oppose au délit d’outrage à la République parce que « la liberté est le principe du gouvernement [des Républicains] et qu’il ne peut se concevoir de république démocratique sans liberté. » De même, en 1893-1894, au plus fort de la vague d’attentats anarchistes, il refuse catégoriquement l’altération de la loi du 29 juillet 1881 et, dans son journal La Justice, rejette « les lois scélérates », atteinte importante à toutes les libertés mises en place par la IIIe République : « A mon sens, la liberté de presse est moins la liberté de tout écrire que la liberté de tout lire. En ce sens, c’est la liberté de tous les Français. »

En 1914, l’état de guerre rétablit la censure et l’organise progressivement jusqu’en janvier 1915. La loi du 5 août 1914 sur les indiscrétions de la presse en temps de guerre interdit un certain nombre d’informations militaires et diplomatiques susceptibles de livrer à l’ennemi des informations ou d’abîmer le moral des troupes et de l’arrière.

Le journal de Georges Clemenceau L’Homme libre, né en mai 1913, est très vite visé. Dès le 29 septembre 1914, le ministre de l’Intérieur Malvy le suspend à la suite d’un article dans lequel l’ancien médecin qu’est Clemenceau dénonce le transport des soldats blessés dans des wagons à bestiaux non nettoyés. Le lendemain, en réaction, apparaît légalement l’Homme Enchaîné.

Désireux de faire entendre sa voix et de poursuivre ses critiques, le Tigre défie la censure, et jusqu’au 16 novembre 1917, date de son arrivée à la présidence du Conseil, L’homme enchaîné, presque quotidiennement censuré, est saisi plusieurs fois.

Malgré tout, après Verdun, face à la nécessité patriotique de consolider l’Union Sacrée, Georges Clemenceau, éternel opposant à la censure, admet sa nécessité pour bien conduire la guerre. En conséquence, une fois au pouvoir, il fait sans état d’âme appliquer la loi du 5 août, mais en limite scrupuleusement le recours, comme il l’exprime dans son discours d’investiture, le 20 novembre 1917 : « Nous avons payé nos libertés d’un trop grand prix pour en céder quelque chose au-delà du soin de prévenir les divulgations, les excitations dont pourrait profiter l’ennemi. Une censure sera maintenue des informations diplomatiques et militaires, aussi bien que de celles qui seraient susceptibles de troubler la paix civile. Cela jusqu’aux limites du respect des opinions. Un bureau de presse fournira des avis — rien que des avis — à qui les sollicitera. En temps de guerre, comme en temps de paix, la liberté s’exerce sous la responsabilité personnelle de l’écrivain. En dehors de cette règle, il n’y a qu’arbitraire, anarchie. »

Ainsi, fidèle au journaliste qu’il a été, Georges Clemenceau, à la différence de Briand qui l’a précédé, a assoupli la censure pour achever la guerre.

 

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