La Chasse, une passion de Georges Clemenceau

Jean Artarit

Historien, psychiatre

 

La chasse fut l’une des grandes passions de Georges Clemenceau. Ses ancêtres Vendéens y avaient sûrement fait merveille, lui la pratiqua avec allégresse. Là point de professionnalisme comme pour le cheval, l’escrime ou le tir au pistolet, pas de savoir subtilement utilisé. C’était une affaire purement émotionnelle, impulsive, totalement charnelle, une communion avec la terre qui lui était si chère. Ce n’était pas seulement la quête du gibier qui l’animait. « Je suis trop grand marcheur, écrivait-il, pour me distinguer au tableau. Ma joie était de courir, de boire le ciel, le vent, la pluie, le soleil, de m’enivrer des senteurs de l’herbe, de m’émerveiller aux spectacles de la terre[1]. » Il se décrivait un soir d’ouverture, peut-être : « J’avais tiraillé tout le jour à tort et à travers sans rien ramasser naturellement car mon fusil partait d’émotion à tout bruit d’ailes. » Mais il se souvenait « d’une journée de lumière, d’un air léger, d’une marche heureuse de jeunesse à travers les champs et les bois[2]. » Ce jeune homme harassé par l’effort il le retrouvait dans la stèle grecque figurant au repos un chasseur juvénile et son chien, et dont le moulage figure sur un mur de son appartement parisien. Mais le ciel n’était pas toujours si clément et Camille Pelletan, alors rédacteur en chef à La Justice, que Clemenceau avait dû entraîner dans une de ses expéditions sportives, nous a laissé une charmante aquarelle pleine d’humour représentant le Vendéen à la chasse aux environs de Sainte-Hermine. On y voit notre grand chasseur s’avançant tête basse et fusil sous le bras, par une pluie battante, tandis qu’un lièvre espiègle lui tend un parapluie[3]. Clemenceau entraînera bien d’autres amis dans ce qu’il nommait des « raids », en particuliers dans le Marais vendéen où son ami Geffroy, auquel il avait fait franchir un petit canal à l’aide d’un bâton sautoux (une perche), se déboîta un genou.

La chasse nous vaut plusieurs jolis textes comme La Chasse aux Cailles, Surprise de chasse, Lavabo, sans compter ceux où il brocarde amicalement ses amis du Midi, grands chasseurs de rouges-gorges : Aux petits oiseaux et Le lapin et la chauve-souris[4]. Elle est omniprésente tout au long de son existence. N’est-ce pas pour avoir tiré des coups de fusil, de chasse bien-sûr, à l’internat de l’hôpital Saint-Jacques de Nantes qu’il est sanctionné par la Commission administrative ? Et puis on le voit inquiet, en 1869, de pas pouvoir « faire l’ouverture » après une mauvaise chute de cheval[5]. Dans son admirable discours de Salerne, en 1893, il se reconnaîtra deux seuls luxes : « un cheval de selle et une action de chasse »[6]. Enfin il ne dédaignera pas de participer aux fameuses chasses présidentielles ainsi que le montre une couverture de L’Illustration, en 1907[7].

La passion cynégétique de Georges Clemenceau ne s’émoussera pas. Sur le Nil, en 1920, on le voit tirant des hippopotames et des crocodiles et il se félicitait d’avoir tué une antilope « dont les cornes feraient l’honneur de sa résidence vendéenne[8] », Belébat à Saint-Vincent-sur-Jard. Et puis comme dans une sorte d’apothéose, à 79 ans, invité aux Indes par le maharadja de Bikaner, le Tigre tua deux tigres. « Tigre tiré en plein bond, écrivait-il, et retombant pour dernières convulsions. Ce sont les rugissements qu’il faut entendre[9]. »

[1] « La Chasse aux cailles », Figures de Vendée, p. 22.

[2] « Surprise de chasse », Figures de Vendée, p. 33.

[3] Georges Clemenceau chassant en Vendée, aquarelle, 1884.

[4] Le Grand Pan, p. 63 et 69.

[5] « Il faut pourtant que je sois en état d’ouvrir la chasse dimanche prochain. » Correspondance, p. 135-136.

[6] La Justice, n° 4957, 10 août 1893.

[7] « Monsieur Clemenceau à la chasse à Rambouillet », L’Illustration, n° 3333, 1907.

[8] Correspondance, p. 540.

[9] Correspondance, p. 579. Télégramme.

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