Les Poilus de Clemenceau

Sylvie Brodziak

Maîtresse de conférences HDR en littérature française et histoire des idées à l’université de Paris Seine-Cergy-Pontoise

 

A l’éclatement de la guerre, Clemenceau, malgré son grand âge et ses maladies, se culpabilise de ne pas être sur le champ de bataille auprès de ses intimes et de ses amis et va vivre, comme l’arrière, la guerre par procuration.

Fin septembre 1915, en tant que président de la Commission de l’armée du Sénat, Georges Clemenceau se rend dans les tranchées. Cette visite aux Poilus de Champagne est la première d’une série de huit voyages qui vont lui permettre de participer à la guerre d’une autre manière, loin de son bureau parisien de l’Hôtel de Brienne. Le Tigre qui est là « pour faire la guerre et rien que la guerre » connaît l’extrême violence du combat et la redoute tout autant pour la France que pour ses « enfants ».

Malgré son grand âge et ses maladies, Clemenceau se culpabilise de ne pas être sur le champ de bataille et va vivre, comme l’arrière, la guerre par procuration : « Mon cher Albert. Merci de ta très bonne lettre arrivée hier soir qui te montre sous ton vrai jour de guerrier. J’ai vécu un moment de ta vie, avec le seul regret de ne pas être à côté de toi. Bonne chance ! Je ne peux pas dire autre chose[1]. » Tel un anonyme, le Président du Conseil, le chef de guerre, va trembler pour ses intimes et amis, partis au combat. Sa correspondance se fait l’écho de ses inquiétudes, de ses peurs et de ses chagrins.

Quatre membres de sa famille sont militaires. Son fils Michel – avec lequel il s’est réconcilié le matin même de son départ – est lieutenant interprète au corps colonial. Son frère « préféré » Albert, lieutenant dans la 10e armée, son petit-fils René Jacquemaire, fils de sa sœur Madeleine et son petit-neveu Jean Raiga, petit-fils de sa sœur Emma combattent. Son frère Paul, officier de réserve ; est affecté à une usine d’armement en Vendée.

Obtenant, de par sa fonction, informations et nouvelles, Georges Clemenceau devient, pendant quatre ans, le patriarche de la famille et rassure, console, sermonne, parfois, quand le désespoir s’annonce. Se sentant enfin père, il prend particulièrement soin de son fils blessé en Belgique par un uhlan et lui interdit de revenir trop précocement sur le front.

Mais son rôle favori est celui de grand frère. Les lettres envoyées à Albert débordent d’amour fraternel. Clemenceau s’inquiète pour ce petit frère qu’il a toujours considéré comme son premier fils et, dans la tragédie, avoue, sans fard, ses sentiments : « La parade des sentiments n’est pas notre affaire […] Je suis content que tu aies déchiré le léger voile dont nous enveloppons tous deux notre affection[2]. »

Les lettres à ses sœurs Emma, Madeleine ou à sa bru Marthe, femme d’Albert, sont moins tendres mais transmettent des conseils, se veulent apaisantes et masquent, souvent, la crainte et la peur. 

Cependant, les Poilus de Clemenceau n’appartiennent pas uniquement à sa famille. Dès le 1er septembre 1914, George, le fils de sa chère amie anglaise Violet Maxse disparaît, tué d’une balle dans la tête à Villers-Cotterêts. Clemenceau aide sa mère « qui meurt chaque jour » à retrouver son corps. Plus tard, Clemenceau est très affecté par la grave blessure reçue à Verdun par son ancien secrétaire et ami, le « bon poilu » Léon Martin.

Ainsi, la grande solidarité et l’affectueuse compassion qu’éprouve Clemenceau pour « ses » Poilus, inconnus ou proches, expliquent la présence des deux bouquets de fleurs desséchées et de l’obus qu’il a voulu poser, à côté de lui, dans sa tombe.

 

[1] Georges, Clemenceau, Correspondance, édition établie et annotée par Sylvie Brodziak et Jean-Noël Jeanneney, Paris, Bouquins, Robert Laffont, 2008, p. 485.

[2] Ibidem, p.488.

 

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