Clemenceau face au général Foch

Samuël Tomei

Docteur en histoire, rédacteur des débats à l’Assemblée nationale

 

Associés dans la victoire, Clemenceau et Foch n’ont pas toujours été unis dans la guerre et resteront divisés dans la paix.

Le 12 novembre 1918, Le Petit Parisien publie en une, vis-à-vis, les portraits du « libérateur Clemenceau » et du « vainqueur Foch ». Associés dans la victoire, ils n’ont pas toujours été unis dans la guerre et resteront divisés dans la paix.

Polytechnicien, artilleur, cavalier, Foch est nommé en 1895 professeur d’histoire militaire, de stratégie et de tactique générale à l’École supérieure de guerre jusqu’en 1901. En 1908, pendant le premier ministère Clemenceau, le poste de directeur de cette même école est vacant. Indifférent à son éducation jésuite, à son passé mollement antidreyfusard, le président du Conseil le nomme tout de même, chaudement recommandé qu’il est par le général Picquart, héros de l’affaire Dreyfus, ministre de la guerre, lui-même encouragé par le commandant Mordacq.

Au début de la guerre, Foch combat dans les Flandres et prend la tête des armées du Nord. Il rencontre le sénateur Clemenceau pour lui faire part de sa volonté d’être promu, mais le Tigre reste sur la réserve qui se mue en perplexité lorsque, deux ans plus tard, Foch lui fait envoyer son propre buste… Cette même année 1916, après l’échec de la bataille de la Somme, le général est écarté par Joffre. Il retourne voir Clemenceau qui, conscient de sa valeur militaire, lui suggère la patience. Le Tigre n’est pas indifférent à son énergie communicative, à son optimisme à toute épreuve. Aussi, une fois au pouvoir, est-ce à Foch qu’il songe pour devenir commandant des armées alliées, jugeant Pétain trop pessimiste, trop raisonnable. Clemenceau doit ruser pour obtenir des Britanniques, à Doullens, le 26 mars 1918, que le général français coordonne les armées alliées sur le front occidental.

Le président du Conseil et ministre de la guerre lui rend fréquemment visite en son QG de Bombon afin de faire le point avec lui. Après la catastrophe du Chemin des Dames, fin mai 1918, les députés demandent la tête de Foch et de Pétain et, lors de la séance du 4 juin, Clemenceau les couvre et les sauve tous deux « par la peau du cou », écrira-t-il. Reste que la manière qu’a Foch de commander déconcerte Clemenceau puisque, au lieu d’ordonner, le général « suggère ». Le président du Conseil doit lui-même intervenir auprès du général américain Pershing, un jour que Foch n’a pas transmis, comme il le devait, certaines instructions. Pire, il refusera, en avril 1919, d’envoyer le télégramme réglant la venue des délégués allemands dans la perspective des négociations. Le président américain Wilson est stupéfait de cet acte d’insubordination et de ce que Clemenceau le maintienne à son poste : c’est que, tant que la paix n’est pas signée, il lui paraît irremplaçable.

Les années suivantes, Foch reprochera amèrement à Clemenceau d’avoir trop cédé aux Alliés, sacrifiant le glacis rhénan au profit d’illusoires garanties de sécurité américaines et britanniques. En février 1929, Clemenceau va tout de même s’incliner devant la dépouille de celui dont il ne veut pas oublier le rôle dans la Victoire. Mais la publication posthume d’entretiens où le maréchal étrille le « Père la Victoire » pousse ce dernier à sortir de son silence et à écrire ce qui sera son testament politique, Grandeurs et misères d’une victoire, où il répond point par point à Foch et, au-delà, dresse le vibrant réquisitoire de la politique d’abandons menée par ses successeurs au pouvoir.

 

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